Stéphanie, étudiante en pharmacie
et
Jean-Matthieu, étudiant en odontologie
Stéphanie, étudiante en pharmacie
En 2010-2011 : Ma rencontre avec le grec
Je suis issue d'une famille et d'un
milieu scientifique ; a priori, rien ne laissait prévoir que le grec
croiserait mon chemin, mais c'est ce qui est arrivé !
Quelques temps avant
d'entrer en première S, j'avais entrepris d'étudier la Bible, afin d'en
examiner les faits avec un regard analytique. En parallèle, j'avais lu
un ouvrage sur les récits bibliques où des professeurs d'université
examinaient les aspects légalo-historiques et déduisaient du texte de
précieux indices sur les allégations du Christ lors de son procès...
grâce au texte original grec ! Pour une jeune scientifique, la rigueur
et la validité des sources sont les qualités essentielles d'un
compte-rendu ou d'un travail. Cette première dimension d'authenticité
fournie par le grec m'avait alors séduite, sans que je puisse
l'entamer, faute de personne-ressource dans mon entourage.
Lorsque j'entrai en première S, je remarquai que ma
professeure de français, également enseignante de latin, était
helléniste. En commentant les divers textes de français, elle donnait
l'étymologie grecque de mots français. J'étais tout simplement
stupéfaite par la richesse insoupçonnée du grec qui se révélait à moi,
par sa langue notamment, mais également par l'héritage littéraire et
historique que la civilisation grecque nous avait laissé. Sans plus
tarder, je parlais à ma professeure de mon intérêt naissant pour le
grec. Sa passion communicative me poussa, une fois rentrée chez moi, à
copier un alphabet grec trouvé sur internet et à l'apprendre. Environ
deux semaines plus tard, je restais longtemps sur l'ordinateur rien que
pour le plaisir de déchiffrer des mots.
Ma professeure eut la gentillesse de m'offrir le
fameux manuel "Hermaion" de J.V. Vernhes. A cette époque, je voulais
simplement étudier le grec en autodidacte pour mon projet d'étude
biblique. Le manuel, très clair, me fit très vite progresser et je fus
en mesure, au bout de quelques mois, d'expliquer certaines phrases
bibliques dont les structures grammaticales sont réputées délicates
d'interprétation. Pour certaines raisons personnelles, j'ai dû parfois
mettre le grec en pause, mais je n'ai cessé de voir du grec partout...
L'incroyable polyvalence du grec
Je souhaite me diriger dans le milieu
médical, et depuis que je me suis mise au grec, je suis capable de
déduire la signification de mots médicaux jamais rencontrés auparavant.
Par exemple, on peut déduire que la leucémie touche les globules blancs
puisque leukos veut dire blanc en grec. De nombreux autres mots
scientifiques sont déductibles systématiquement et cela m'est d'une
grande utilité dans beaucoup de cours, tant en SVT qu'en Histoire,
(OROgenèse, la naissance des montagnes, PLOUTOcratie, système où les
riches détiennent le pouvoir...). Ne parlons pas de la philosophie,
enfantée par la nation grecque, ainsi que la politique, les notions de
citoyenneté et de culture... L'étude du grec développe également les
perspectives épistémologiques. Le grec se retrouve dans un nombre
incroyable de langues, et en parlant plusieurs, dont l'arabe, je
retrouve des mots grecs qui apportent des souvenirs et des explications
de la croisée des mondes sémitique et hellénique… Sans oublier, pour
mes travaux personnels, l'assurance de posséder le texte original
biblique. Et la culture générale. Etc, etc etc.
Ainsi, le grec, même pratiqué seule, m'a ouvert des horizons énormes. Que du positif, que du bénéfique !
Je passe le BAC !
Cette année, j'aurais voulu prendre une option
supplémentaire.... Mais ce fut impossible par indisponibilité de ces
options. Il me fut donné la possibilité de passer le grec... J'avais
peur : je n'ai que quelques mois d’expérience de grec et on était à un
trimestre de la rentrée. Mais je voulais absolument consolider ma
connaissance du grec avant de me lancer dans les études supérieures qui
ne m'en laisseraient plus le temps. Je fis alors le "pari" d'ajouter
l'option « grec » à mon BAC. Je ne le regrette toujours pas ! J'étudie
chez moi, avec les documents du corpus, les traductions et commentaires
offerts par Anne Fillon.
Enseignement du grec.
Malheureusement, le grec n'est pas autant dispensé
que le latin... Ce qui est regrettable, car comme je l'ai expliqué plus
haut, les avantages du grec sont inimaginables, et le grec est une base
en or pour nombre de disciplines, tant littéraires que scientifiques,
médecine, biologie, géologie, histoire, langues anciennes ou
modernes... Nommez-les toutes !
C'est une langue très fluide lorsqu'elle est bien
enseignée. Mon manuel "Hermaion" a soigneusement organisé
l'apprentissage des déclinaisons et a intégré peu à peu de petites
listes de vocabulaire, puis fait appliquer directement l'apprentissage
à de vrais textes, comme les Maximes de Ménandre, ce qui évite de
faire une indigestion de connaissances sans jamais pouvoir les
appliquer et donc les oublier. N'ayant pas eu de professeur, je ne sais
pas comment les cours se déroulent officiellement mais un apprentissage
mettant en pratique déclinaisons, vocabulaire et textes motive les
élèves et évite l'effet "accumulation". On se sent dès lors perpétuer
le cours de l'histoire en étudiant des textes fondateurs et
incontournables.
Il profiterait à de nombreux élèves, tant les
scientifiques que les littéraires, d'avoir à leur disposition un
enseignement hellénique plus accessible. Les scientifiques y
trouveraient leur compte en s'appropriant des connaissances efficaces,
ce qui les aiderait pour de nombreuses racines capitales
(classifications scientifiques), et les littéraires y gagneraient en
culture générale et en solidité d'expression.
Quel bénéfice serait pour les élèves un cours de
grec ! Il est "indélébile" dans la mémoire et offre une solidité
intellectuelle et culturelle sans égale.
2013 : Deux ans après le bac : le grec en faculté de pharmacie
Ça y est ! Après le concours tant
redouté d'admission en faculté de pharmacie (le fameux concours PACES),
je suis en deuxième année de faculté de pharmacie. A cause des
nombreuses réformes, ma première année a eu lieu à la faculté de
médecine de Tours, où nous étions dans un amphithéâtre avec les futurs
médecins, dentistes, sage-femmes, et par la même occasion, nous avons
eu des matières que nous n'avions pas, en faculté de pharmacie avant la
réforme. Les souvenirs de grec ont été pour moi fondamentaux. Vous
devez savoir que la première année, de concours, est très éprouvante,
et qu'elle nécessite un effort massif de mémorisation. Et lorsque vous
vous retrouvez face à une pile de cours très denses, très, très
denses... voici comment le grec peut vous aider :
1) Le grec vous aide à décortiquer les mots et à les rendre
transparents : Ex : en biologie cellulaire, vous entendrez parler de
pinocytose et phagocytose. (en grec, pinein : boire, phagos : manger,
-cytos : cellule). C'est un phénomène dans lequel les cellules «
mangent » (pour la phagocytose) des particules solides ou « boivent »
(pour la pinocytose) des substances dissoutes. Cela ne paraît qu'être
un exemple, mais en médecine/pharmacie, le nombre de racine grec est
incalculable, et lorsque vous devrez assimiler de nombreux cours, de
longues listes de pathologies, etc, au lieu d'apprendre des noms
barbares qui ne vous parleront pas, les mots, transparents, seront tout
de suite une évidence pour vous et, en bonus, cacheront souvent
derrière leur étymologie le sens du concept. C'est très utile et on
gagne beaucoup de temps, on a l'impression de beaucoup moins peiner à
apprendre. Exemple : le mot diabète, du grec diabêtes, (passer à
travers), a été inventé pour qualifier le phénomène observé chez les
diabètiques : l'eau ingérée semble traverser le corps sans s'arrêter,
et les urines sont diluées. Sans compter le nombre de préfixes (par
exemple, ortho méta para, vous les verrez en chimie organique).
2) Le grec et l'histoire de la Grèce Antique se retrouveront dans vos
cours : En médecine comme en pharmacie, vous aurez l'occasion de
croiser, en science humaines (genre de cours de psychologie,
psychiatrie, etc) , la théorie des 4 humeurs d'Hippocrate, Théophraste,
botaniste et philosophe, Galien, le père de la pharmacie, la Thériaque
d'Andromaque, célèbre contrepoison fait d'une dizaine de constituants
plus inusités les uns que les autres et qui était réputé pour guérir
tous les maux... Peu importe votre faculté, vous retrouverez forcément
ces personnages et leurs œuvres dans les cours. Et pendant que les
autres paniquent, apeurés, et se disent « mais qu'est-ce qu'on fait en
fac d'histoire ? », le seul fait d'avoir entendu ces noms, ne serait-ce
que brièvement, dans vos cours de grec vous mettra tout de suite en
confiance, et vous placera en « territoire connu », sans compter
l'étymologie des mots qui fait gagner du temps. Et attention, ces «
détails » historiques n'en sont pas, les profs se délectent de composer
des questions sur l'histoire de la médecine et de la pharmacie.
3) Le grec : indispensable à l'apprentissage de la botanique. En disant
indispensable, j'exagère un peu (le zèle d'une helléniste
convaincue;)), mais à peine. Dans notre faculté, pas loin de 2 mois
avant le concours final, en plus des autres matières, nous devions
apprendre une classification de plantes, pour le moins colossale. Des
noms de plantes, des caractéristiques, des formes, des propriétés
pharmaceutiques, l'anatomie des plantes... Une matière passionnante,
lorsqu'elle est bien dispensée mais qui vous fera travailler
d'arrache-pied votre mémoire. Et là, pas de zèle, mais pour être
honnête, mes connaissances en grec ont fait de cette classification
fastidieuse un jeu d'enfant. Presque tous les mots ou les concepts ont
une racine grecque cachée ! On voit un mot et systématiquement, on dit,
« je sais, je sais, je sais ! En grec ca veut dire... » Alors que vos
collègues non hellénistes, eux, peinent à apprendre cette montagne de
botanique dont les mots ne veulent rien dire pour eux, ce qui n'aide
pas à la mémorisation rapide que demande le programme. Voici quelques
exemples tirés de mon cours de botanique :
• Le péricarpe (péri-autour -carpos-fruit) est
l'enveloppe du fruit. Même raisonnement pour mésocarpe, endocarpe....
• Il existe deux types de morphologie florale :
actinomorphe et zygomorphe ; actinos : rayon de soleil = symétrie
radiale, zygo : joug, donc une idée de « bilatéral », symétrie
bilatérale
• on parlera d'une fleur isostémone lorsque cette
fleur a autant de fleur que d'étamine (stemon) et de diplostémone
lorsqu'elle en a le double.
Ça me paraissait une évidence, car les connaissances
de grec étaient là, mais je voyais bien que mes amis dans l'amphi
peinaient à apprendre cette classification, dont la mémorisation, déjà
compliquée en soi et fastidieuse, n'était pas facilitée par des mots
qui pouvaient être confondus, parfois longs, parfois sans aucun
rapprochement avec la langue française.
4) Enfin, l'alphabet grec, à lui tout seul, une fois connu et
apprivoisé, est indispensable : on l'utilise tout le temps pour nommer
plein de choses, les brins bêta antiparallèles, les chaînes alpha,
l'expressions alpha beta gamma delta des chaînes d'hémoglobines, etc,
etc... Je ne sais pas pour vous, mais si je devais tout le temps
rencontrer les lettres d'un alphabet qui n'est pas le mien dans mon
métier, je l'apprendrai jusqu'à « l'apprivoiser » parce que la
nomenclature fait souvent intervenir des lettres, et je trouve qu'il
vaut mieux se mettre en « règle » avec sous peine d'avoir du mal à
apprendre...
Moralité ? Faites du grec ! C'est bon pour plein de domaines, je
l'avais appris, comme j’en ai témoigné, pour au début, explorer le
Nouveau Testament, mais, sans le savoir, j’ai acquis un bagage d'une
valeur inestimable qui a sans doute beaucoup facilité ma réussite au
concours ! Ce n'est pas seulement une langue qu'on prend au bac,
pour « gagner des points », mais c'est un sérieux avantage qu'on
se constitue, selon moi, peu importe le domaine qu'on prend par la
suite et encore plus dans les études supérieures ! Le grec a influencé
beaucoup de langues, de concepts, de mots, de civilisation, et vous le
croiserez à coup sûr peu importe la route que vous prendrez !
Tous les chemins mènent à Athènes :)
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Jean-Matthieu, étudiant en odontologie
En prenant du recul au fur et à mesure que les semestres passent, il me
semble que l'apprentissage du grec a été pour moi bien plus qu'une
simple étude systématique d'une langue dite morte. Actuellement en
troisième année à la Faculté d'Odontologie Paris 7 (= école de dentiste
: o odous, odontos, la dent !), je continue de m'apercevoir que l'étude
du grec ancien au collège et au lycée, a été en fait une ouverture
d'esprit, une source d'intérêt pour tout ce qui touche à l'étymologie,
et donc un outil précieux pour la manipulation quotidienne du français,
aussi bien à l'écrit qu'à l'oral.
En effet, le métier que j'apprends - comme de nombreux autres métiers -
comprend une dimension éminemment humaine et sociale, étant donné le
contact quotidien du dentiste avec ses patients. Mais d'un autre côté,
il s'agit également d'un métier scientifique, puisque le dentiste est
en possession d'un savoir médical, qu'il doit utiliser non seulement
pour soigner ses patients, mais aussi pour être capable de justifier
auprès d'eux les décisions thérapeutiques qu'il prend. C'est pourquoi
le dentiste (tout comme d'autres professionnels, de santé notamment)
doit être capable de construire une relation sociale avec son patient,
en mettant son propre savoir à sa disposition, au moyen de termes aussi
compréhensibles qu'exacts et précis.
C'est ainsi que la compréhension par l'étudiant des termes employés
dans la profession, est d'une importance particulière pour son exercice
futur ; et je parle ici non seulement du fait de comprendre la
définition d'un mot, mais aussi du fait de comprendre pourquoi c'est ce
mot-là et pas un autre qui est employé dans tel ou tel contexte.
Et il me semble que cette précision dans le langage est une faculté qui
ne peut s'acquérir que par une connaissance large autant que détaillée
de notre langue, qui passe en particulier par la connaissance des
langues "mères" du français, à savoir le grec et le latin.
Venons-en au fait avec quelques exemples de mots tirés du lexique médical et dentaire.
D'abord en anatomie ; cette science a la
particularité d'employer des quantités de mots "savants" qui en fait ne
correspondent qu'à une simple description de la structure qu'ils
désignent. Un exemple tout à fait marquant est le mot thyroïde. Comment
expliquer que le cartilage thyroïde du larynx et la glande thyroïde
portent ce même qualificatif, alors qu'ils n'ont de commun que leur
forme générale ? C'est qu'ils sont tous deux constitués de deux parties
verticales relativement planes qui convergent l'une vers l'autre
antérieurement, ce qui évoque les deux battants d'une porte : thura. Ou
encore, comment distinguer l'espace péri-pharyngé de la région
para-pharyngée ? Ces régions n'ont rien à voir (!) puisque l'un est un
espace situé tout autour (peri) du pharynx, alors que l'autre est une
région simplement située près (para) du pharynx, sans l'entourer.
Pourquoi, enfin, le processus ptérygoïde porte-t-il
ce nom si compliqué ? C'est que ce relief osseux est en forme de petite
aile (pterugion). Et le processus coracoïde de l'omoplate ? C'est qu'il
évoque le bec crochu d'un corbeau (korax, korakos) !
En anatomo-pathologie :
Qu'est-ce que la néoangiogénèse ? Une simple
segmentation du mot permet d'en comprendre le sens : neos, nouveau ;
aggeios, vase (vaisseau dans son sens ancien) ; genesis, origine,
production, génération. Ce mot désigne donc l'induction par une tumeur
de nouveaux vaisseaux sanguins assurant sa nutrition.
Ou encore, que désigne la diapédèse leucocytaire ?
Sachant que dia signifie à travers et pêdêsis, bond, on comprend que ce
terme désigne le passage actif des leucocytes à travers l'endothélium
vasculaire (la paroi des capillaires) lors d'un processus inflammatoire.
En chirurgie :
La syndesmotomie est l'étape qui consiste, lors de
l'extraction d'une dent, à sectionner (tomê : coupure) les fibres
(sundesmos : lien) qui relient la dent à la gencive.
En cancérologie :
Un carcinome épidermoïde est une tumeur (ômos : dur)
maligne (karkinos : écrevisse !) à différenciation malpighienne,
c'est-à-dire semblable (eidos : aspect extérieur) au tissu de
recouvrement (epi : sur) de la peau (derma : peau).
En embryologie :
Comment se souvenir des stades de la prophase de
première division de méiose ? Un simple coup d'oeil dans le Bailly nous
apprend que "zygon" signifie "joug" : c'est donc au stade zygotène que
les chromosomes homologues s'apparient ; et en sachant que "pachys"
veut dire "épais", il est facile de retenir que c'est au pachytène que
les chromosomes sont enchevêtrés (paraissant donc particulièrement
épais au microscope) au point que les crossing-over aient lieu.
On pourrait multiplier les exemples...
Un dernier point que je souhaiterais soulever, est
l'aide incontestable qu'apporte la connaissance de l'origine des mots
pour orthographier correctement ces termes plus ou moins compliqués,
souvent issus du grec, qui sont si souvent défigurés par un H
inapproprié, ou par une transformation inopinée d'un Y en I et vice
versa... »
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